Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/229

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variaient tellement entre eux, que celui qui voudrait les concilier et en former une seule théorie de gouvernement ne viendrait jamais à bout d’un pareil travail.

Néanmoins, quand on écarte les détails pour arriver aux idées-mères, on découvre aisément que les auteurs de ces systèmes différents s’accordent au moins sur une notion très-générale que chacun d’eux paraît avoir également conçue, qui semble préexister dans son esprit à toutes les idées particulières et en être la source commune. Quelque séparés qu’ils soient dans le reste de leur course, ils se tiennent tous à ce point de départ : tous pensent qu’il convient de substituer des règles simples et élémentaires, puisées dans la raison et dans la loi naturelle, aux coutumes compliquées et traditionnelles qui régissent la société de leur temps.

En y regardant bien, l’on verra que ce qu’on pourrait appeler la philosophie politique du dix-huitième siècle consiste à proprement parler dans cette seule notion-là.

Une pareille pensée n’était point nouvelle : elle passait et repassait sans cesse depuis trois mille ans à travers l’imagination des hommes sans pouvoir s’y fixer. Comment parvint-elle à s’emparer cette fois de l’esprit de tous les écrivains ? Pourquoi, au lieu de s’arrêter, ainsi qu’elle l’avait déjà fait souvent, dans la tête de quelques philosophes, était-elle descendue jusqu’à la foule, et y avait-elle pris la consistance et la chaleur d’une passion politique, de telle façon qu’on pût voir des