Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/249

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arrivé qu’une sorte de police semblable à celle qu’on exerçait alors sur la presse n’ait pas centuplé son pouvoir.

Les auteurs n’étaient persécutés que dans la mesure qui fait plaindre, et non dans celle qui fait trembler ; ils souffraient cette espèce de gêne qui anime à la lutte, et non ce joug pesant qui accable. Les poursuites dont ils étaient l’objet, presque toujours lentes, bruyantes et vaines, semblaient avoir pour but moins de les détourner d’écrire que de les y exciter. Une complète liberté de la presse eût été moins dommageable à l’Église.

« Vous croyez notre intolérance, écrivait Diderot à David Hume en 1768, plus favorable au progrès de l’esprit que votre liberté illimitée ; d’Holbach, Helvétius, Morellet et Suard ne sont pas de votre avis. » C’était pourtant l’Écossais qui avait raison. Habitant d’un pays libre, il en possédait l’expérience ; Diderot jugeait la chose en homme de lettres, Hume la jugeait en politique.

J’arrête le premier Américain que je rencontre, soit dans son pays, soit ailleurs, et je lui demande s’il croit la religion utile à la stabilité des lois et au bon ordre de la société ; il me répond sans hésiter qu’une société civilisée, mais surtout une société libre, ne peut subsister sans religion. Le respect de la religion y est, à ses yeux, la plus grande garantie de la stabilité de l’État et de la sûreté des particuliers. Les moins versés dans la science du gouvernement savent au moins cela. Cepen-