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Quand la bouche ne profère plus aucun son, que
les yeux sont obscurcis, et que le sens de Poule
est éteint, un reste de vie se concentre au dedans ;
on n’a plus d’autre conscience que celle de son
être: sur le seuil de la tombe on redevient ce qu’on
était dans son berceau ; comme l’homme qui vient
de naître, l’homme prêt à mourir est isolé du
monde, et sent qu’il vit plutôt qu’il ne le sait. A la
mort, dit-on, l’âme se sépare du corps ; on devrait
dire que le corps abandonne l’âme car c’est lui
qui, en se dissolvant, amène la séparation. Mais
parce que nous ne sommes plus matière, devons-nous
croire que nous cessons d’être (1) ?
Il y a un mystère que le malade cherche toujours à pénétrer : c’est celui de l’opinion qu’on se fait de son état. Il étudie les physionomies, épie un geste, un coup d’œil, prête l’oreille aux conversations qui se tiennent à voix basse, et quelquefois feint de dormir pour qu’on se trahisse. Souvent, s’il a l’usage de la parole, il vous pose des questions insidieuses, ou il affecte de se croire à l’extrémité, pour voir si on le contredira.
Privé de toutes les jouissances mondaines, il les estime alors à leur juste prix ; il fait l’épreuve de la fragilité de la vie, et ne peut plus méconnaître la vanité des biens qu’elle promet entraîné assez
(1) Idée d'existence.