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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

sûreté de la navigation qu’aux informations de toute sorte qu’il tirerait de lui. Il ne pouvait mieux choisir que le père Vent-Debout, un Bas-Breton, un Vrézounec, Biélik Tégonek de son nom presque oublié.

Biélik Tégonek ne faisait point partie des pilotes-lamaneurs, agréés comme tels après avoir rempli certaines conditions déterminées par la loi et subi un examen, gens dont le dur métier ne laisse pas que d’être fort recherché par les marins et les pécheurs du littoral, et qui sont attachés à un port en nombre strictement limité. Le père Vent-Debout ne pouvait pas s’enorgueillir de faire partie de cette corporation d’hommes dévoués, toujours prêts à partir au premier signal et qui sont l’honneur de notre marine. « Entre tous les pilotes du monde, a dit M. de la Landelle avec une émotion justifiée, ceux du littoral de la France méritent d’être cités pour leur intrépidité, pour leur dévouement et pour leur intégrité à toute épreuve.

» Jamais il ne leur arrive, comme aux pilotes américains ou anglais, de marchander leurs secours à des bâtiments en détresse, d’imposer des conditions d’argent à des navigateurs près de périr, et d’hésiter ou de renoncer à leur prêter leur concours si les clauses exorbitantes d’un pareil marché sont repoussées avec indignation. Jamais ils ne spéculent lâchement sur la vie ou la mort de ceux qui les appellent. — Ils montent à bord et se bornent à réclamer le salaire qui leur est dû d’après le tarif. Un sentiment d’honneur, parfois excessif, paraît être leur mobile ; il se retrouve chez le joyeux pilote marseillais, comme chez l’aventureux Gascon ou Basque, chez le pieux lamaneur des côtes de Bretagne, comme chez le « pratique » du littoral de la Manche.  »

Biélik Tégonek était tout simplement un ancien capitaine caboteur retiré depuis quelques années avec des économies, mais qui, ayant tout perdu, s’était remis au travail. Tégonek connaissait les côtes de France sur l’Atlantique et la Manche presque aussi bien que les pilotes de profession attachés aux ports de l’Océan. Excellent homme autant que hardi marin, avec l’âge il était devenu loquace.

Ainsi, tandis que sir William et Henry Esmond, ayant à leur côté le petit Parisien, braquaient sur l’île de Ré une puissante lorgnette, que Jean trouvait le moyen de se faire offrir de temps en temps, le père Vent-Debout regardant obstinément en arrière s’appliquait à persuader au baronnet qu’il avait eu grand tort de ne pas descendre le littoral jusqu’au pertuis de Maumusson, — c’est à la pointe sud de l’île d’Oléron, — et même jusqu’à Bordeaux. — Vous auriez vu la Charente en passant, et Rochefort, sans vous déralin-