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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

guer le tempérament, histoire seulement de faire quelques lieues dans l’embouchure de la rivière, défendue par les forts de l’île d’Aix, de l’île d’Enet, de l’écueil Boyard, et de l’île Madame. En courant une bordée — à terre, — nous aurions rencontré par là une vraie curiosité maritime, c’est Brouage qui, après avoir été un grand port — le pilote disait vrai — est aujourd’hui un hameau assis en plain plancher des vaches, avec remparts et bastions qui lui servent comme à toi-z-et moi. Ceux de La Rochelle y ont pris quelque peine ; je me suis laissé dire qu’il y a trois siècles, ils vinrent couler vingt gros bâtiments chargés de pierres à l’entrée du chenal. Il n’en fallait pas davantage pour aider la mer à se retirer… Aimez-vous les huîtres, mon milord ?

« Mon milord », arraché enfin à sa contemplation de l’île de Ré par cette interpellation d’un ordre purement gastronomique, se sentit venir l’eau à la bouche et, avec des grimaces gourmandes, il avoua sa prédilection pour les huîtres d’Ostende et celles de Marennes, en ajoutant que ces dernières étaient les meilleures de l’Europe.

— N’est-ce pas ? On en mangerait volontiers une cloyère, affourché à quatre amarres dans une auberge, à l’abri d’une bonne bouteille. Eh bien ! je vous aurais montré Marennes, milord, et un peu plus loin, la Tremblade, où l’on élève aussi les huîtres en grand. C’est très plaisant à voir le bassin où les huîtres sont engraissées ! Figurez-vous, milord, une immensité de champs inondés sur les deux rives de l’estuaire de la Seudre ; des fosses partout, ce qu’on appelle des « claires » ; foi de Dieu ! il y en a peut-être bien cinq mille ! Elles sont assez loin de la mer pour que l’eau de la grande tasse ne se renouvelle que de temps à autre, aux époques des nouvelles lunes et des pleines lunes. Il faut du calme à l’huître en sevrage. Les bancs naturels du voisinage donnent des coquillages supérieurs, mais il en faut plus que cela pour le commerce ; alors on en apporte d’Arcachon, des côtes de la Vendée et de la Bretagne, et de l’île d’Oléron, pour les engraisser ; tremblement de Brest ! on en apporte, je crois, de partout ! Elles arrivent en barques, chargées en vrac. Lorsque le voyage dure plus de huit ou dix jours, — dame ! les huîtres aiment l’eau comme moi un boujaron de sec, — on est obligé de les mettre à la mer, pour les faire boire ; puis on les emballe de nouveau, et d’étape en étape, on les amène ainsi jusqu’à destination.

Le pilote dit ensuite comment, vers le mois de septembre, ces huîtres blanches prennent cette couleur verte qui leur vaut l’accès des meilleures tables. Il toucha un mot des huîtres portugaises, auxquelles on préfère généralement les huîtres plates ; et il raconta une curieuse particularité, c’est