Page:Anatole France - Balthasar.djvu/60

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déprave est quelque chose d’effrayant. Le dimanche de l’Épiphanie, je me levai tout joyeux et je courus à ma table, où Porou m’avait précédé selon sa coutume. Je pris un beau cahier de papier blanc, je trempai ma plume dans l’encre et j’écrivis en grandes lettres, sous le regard de mon nouvel ami : Mésaventures d’un commissionnaire borgne. Puis, sans que mes yeux quittassent le regard de Porou, j’écrivis tout le jour, avec une prodigieuse rapidité, un récit d’aventures si merveilleuses, si plaisantes, si diverses, que j’en étais moi-même tout égayé. Mon crocheteur borgne se trompait de fardeaux et commettait les méprises les plus comiques. Des amoureux placés dans une situation critique recevaient de lui, sans qu’il s’en doutât, un secours imprévu. Il transportait des armoires avec des hommes cachés dedans. Et ceux-ci, introduits dans un nouveau domicile, effrayaient des vieilles dames. Mais comment analyser un conte si joyeux ? Vingt fois j’éclatai de rire en l’écrivant. Si Porou, lui, ne riait pas, son air grave était aussi plaisant que les mines les plus hilares. Il était sept heures du soir quand je traçai la dernière ligne de cet aimable ouvrage. Depuis