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LA FILLE DE LILITH


J’avais quitté Paris la veille au soir et passé dans un coin de wagon une longue et muette nuit de neige. J’attendis six mortelles heures à X… et trouvai dans l’après-midi seulement une carriole de paysan pour me conduire à Artigues. La plaine, dont les plis s’élèvent et s’abaissent tour à tour des deux côtés de la route et que j’avais vue jadis riante au grand soleil, était maintenant couverte d’un voile épais de neige sur laquelle se tordaient les pieds noirs des vignes. Mon guide poussait mollement son vieux cheval, et nous allions, enveloppés d’un silence infini que déchirait par intervalles le cri plaintif d’un oiseau. Triste jusqu’à la mort,