Page:Anatole France - Balthasar.djvu/80

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à madame ? » Je répondis oui. Oh ! mon père, ce mot, ce petit mot, quelles larmes de sang pourront jamais l’expier ? J’entrai. Je la trouvai dans le salon, à demi couchée sur un divan, dans une robe jaune comme l’or, sous laquelle elle avait ramené ses pieds. Je la vis… Mais non, je ne voyais plus. Ma gorge s’était tout à coup séchée, je ne pouvais parler. Une odeur de myrrhe et d’aromates qui venait d’elle m’enivra de langueur et de désirs, comme si tous les parfums du mystique Orient étaient entrés à la fois dans mes narines frémissantes. Non, certes, ce n’était pas là une femme naturelle, car rien d’humain ne transparaissait en elle ; son visage n’exprimait aucun sentiment bon ou mauvais, hors celui d’une volupté à la fois sensuelle et céleste. Sans doute, elle vit mon trouble, car elle me demanda, de sa voix plus pure que le chant des ruisseaux dans les bois :

» — Qu’avez-vous ?

» Je me jetai à ses pieds et je m’écriai dans les larmes :

» — Je vous aime éperdument !…

» Alors elle ouvrit les bras ; puis, répandant sur moi le regard de ses yeux voluptueux et candides :