Page:Anatole France - Balthasar.djvu/81

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» — Pourquoi ne l’avez-vous pas dit plus tôt, mon ami ?

» Heure sans nom ! Je pressai Leila renversée dans mes bras. Et il me sembla que, tous deux emportés ensemble en plein ciel, nous le remplissions tout entier. Je me sentis devenir l’égal de Dieu, et je crus posséder en mon sein toute la beauté du monde et toutes les harmonies de la nature, les étoiles et les fleurs, et les forêts qui chantent, et les fleuves et les mers profondes. J’avais mis l’infini dans un baiser…

À ces mots, M. Safrac, qui m’écoutait depuis quelques instants avec une impatience visible, se leva et, debout contre la cheminée, ayant retroussé sa soutane jusqu’aux genoux pour se chauffer les jambes, il me dit avec une sévérité qui allait jusqu’au mépris :

— Vous êtes un misérable blasphémateur et, loin de détester vos crimes, vous ne les confessez que par orgueil et par délectation. Je ne vous écoute plus.

À ces mots, je fondis en larmes et lui demandai pardon. Reconnaissant que mon humilité était sincère, il m’autorisa à poursuivre mes aveux, à la condition de m’y déplaire.