Page:Anatole France - Balthasar.djvu/95

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À ces mots, des éclairs et des larmes jaillirent ensemble de ses yeux, plus sombres qu’un ciel d’orage, et Læta Acilia se dit en elle-même :

« Je suis pieuse, j’accomplis exactement les cérémonies que la religion prescrit, mais il y a en cette femme un étrange sentiment de l’amour divin. »

Et la Madeleine poursuivit dans l’extase :

— C’était le Dieu du ciel et de la terre, et il disait des paraboles, assis sur le banc du seuil, à l’ombre du vieux figuier. Il était jeune et beau ; il voulait bien être aimé. Quand il venait souper dans la maison de ma sœur, je m’asseyais à ses pieds, et les paroles coulaient de ses lèvres comme l’eau du torrent. Et quand ma sœur, se plaignant de ma paresse, s’écriait : « Nabi, dites-lui qu’il est juste qu’elle m’aide à préparer le souper », il m’excusait en souriant, me gardait à ses pieds et me disait que j’avais pris la bonne part. On eût cru voir un jeune berger de la montagne, et pourtant ses prunelles jetaient des flammes pareilles à celles qui sortaient du front de Moïse. Sa douceur ressemblait à la paix des nuits et sa colère était plus terrible que la foudre. Il aimait les humbles et les petits. Les enfants couraient