Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/185

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en portant un plateau qu’elle posa sur la table. Quand elle se fut retirée, Desrais dit avec une moue dédaigneuse :

— C’est un thé envoyé par la famille.

Puis il rit malicieusement :

— J’ai mieux !

Et, tirant de l’armoire une bouteille de rhum, il annonça qu’il allait faire un punch, et que, n’ayant pas de bol, il le ferait dans sa cuvette.

Il fit comme il avait dit, mit le rhum et le sucre dans la cuvette, et, après avoir éteint la lampe, fit flamber le punch.

Je jugeai alors qu’il fallait renoncer à lire mon discours, dont personne ne réclamait la suite : ce qui me causait une mortification cruelle.

Autour du punch, les académiciens dansaient en se tenant par les mains, et, dans la ronde, Fontanet et Sauvigny, pareils à deux nains diaboliques, effrayaient par leur frénésie. Tout à coup une voix s’écria :

— Le buste, le buste !

Sur son armoire, éclairé par la flamme livide, le buste était vert, il était affreux et terrible. Il avait l’air d’un mort qui sort de son tombeau. On ralluma la lampe, et nous bûmes le punch à pleines tasses.