Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/227

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— Ce sont les meubles de mon arrière-grand’mère. J’en ai bien souffert autrefois. Tu sais qu’il se fit à l’époque du Directoire et du Consulat une grande révolution dans l’art. Le goût, qui avait déjà commencé à s’épurer au déclin de la monarchie, fut tout à l’antique et l’on trouva grotesques les chinoiseries du vieux temps. J’habitais alors avec mes parents ; j’étais jeune, j’avais de l’amour-propre et il m’était pénible de vivre dans ces vieilleries et surtout d’y recevoir mes amis, dont quelques-uns étaient peintres, élèves de David et comme lui tout épris du grec et du romain. Je me rappelle qu’un jour je fus présenté à madame de Noailles qui, revenue de l’émigration, habitait dans la chaussée d’Antin un hôtel décoré par David et meublé sur les dessins de Percier et de Fontaine. Sur les murs étaient peints, en imitation de bronze, des faisceaux, des casques, des boucliers, des glaives et des frises de héros. On y voyait Romulus et Rémus tétant la louve, Brutus condamnant ses fils, Virginius immolant sa fille… Que sais-je encore ! On s’asseyait sur des chaises curules. Le boudoir était orné de peintures sur fond rouge imitées des fresques d’Herculanum. Cette décoration, cet