Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/235

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muse, je reconnus mon voisin et ami, M. Ménage, qui copiait pour la vingtième fois la Belle jardinière de Raphaël.

Je doute qu’il eût jamais bu, comme le disait mon parrain, du punch enflammé dans une tête de mort. Mais, à ses débuts, il avait rêvé de fortune et de gloire. Il avait cru que son Edwige au col de cygne attirerait les foules charmées. Il était truculent alors, il était romantique. Il l’était bien plus par cet esprit d’imitation commun à la plupart des hommes que par son propre génie qui était raisonnable.

Il ne pouvait souffrir David et son école. Le seul nom de Girodet le transportait de fureur. Raphaël et Ingres étaient ses deux bêtes noires. À cela près, il avait le goût large et l’esprit ouvert.

— Il ne faut pas croire, disait-il, qu’il n’y ait qu’une seule bonne manière de dessiner et de peindre ; toutes les manières sont bonnes quand elles produisent l’effet désiré.

Il disait aussi :

— Avant de juger une peinture, cherchez ce que le peintre a voulu, et ne le condamnez pas sur les sacrifices qu’il a dû faire pour mieux rendre sa pensée. Le génie consiste