Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/247

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et avec plaisir la guerre qui la tire de l’horrible ennui de la vie domestique, lui assure du vin et la jette dans les aventures. Toucher une solde, voir du pays, se couvrir de gloire, voilà qui fait braver des périls. Disons mieux, les hommes adorent la guerre. Elle leur procure la plus grande satisfaction qu’ils puissent éprouver dans ce monde, celle de tuer. Ils risquent sans doute d’être tués eux-mêmes, mais on ne croit guère qu’on mourra quand on est jeune, et l’ivresse du meurtre fait oublier le risque. J’ai fait la guerre, vous pouvez m’en croire quand je vous dis que frapper, abattre un ennemi est pour neuf hommes sur dix une volupté auprès de laquelle les plus doux embrassements paraissent fades. Comparez la guerre à la paix. Les travaux de la paix sont longs, monotones, souvent pénibles, et sans gloire pour la plupart de ceux qui s’y livrent ; les œuvres de guerre, promptes, faciles, à la portée des intelligences les plus obtuses. Même de la part des chefs, elles n’exigent pas beaucoup d’esprit ; elles n’en demandent pas du tout au soldat. Tout le monde peut faire la guerre. C’est le propre de l’homme.