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seule servante faisait le service. Les dîners étaient copieux et longs[1]. L’oncle Danquin, âgé de quatre-vingt-neuf ans, y assistait parfois. On le priait de chanter au dessert. Il se levait et susurrait imperceptiblement une chanson bachique de Désaugiers :

Versez encore…

Après le dîner, on passait dans le salon, vaste pièce autour de laquelle régnaient des

  1. Aujourd’hui les classes riches se montrent, dans l’Europe démocratique, pour l’ordonnance d’un dîner prié, plus cérémonieuses et moins délicates que n’étaient les aristocrates dans l’ancien régime. Mon parrain, trop petit bourgeois pour imiter les riches de son temps, issus de la Révolution et de l’Empire, en usait dans les dîners qu’il nous donnait avec une grâce qui, si l’on y prend garde, tient plus qu’il ne semblerait tout d’abord, au temps jadis. Lisez cette page écrite après l’émigration par une femme longtemps familière du Palais-Royal, madame de Genlis. On y verra que l’ancienne noblesse était, à certains égards, moins guindée que notre bourgeoisie.

    Genlis V, 101. « Lorsqu’on allait se mettre à table, le maître de la maison ne s’élançait point vers la personne la plus considérable pour l’entraîner au fond de la chambre, la faire passer en triomphe devant toutes les autres femmes et la placer avec pompe à table à côté de lui. Les autres hommes ne se précipitaient point pour donner la main aux dames… Cet usage ne se pratiquait alors que dans les villes de province. Les femmes d’abord sortaient toutes du salon ; celles qui étaient le plus près de la porte passaient les premières ; elles se faisaient entre elles quelques petits compliments, mais très courts et qui ne retardaient nullement la marche… Les hommes passaient ensuite. Tout le monde arrive dans la salle à manger, on se plaçait a table à son gré. »