Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/288

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pables de toute tâche sérieuse. Je m’en ouvris à mon père et, sous sa direction, avec l’aide d’habiles hommes auxquels il me recommanda, j’étudiai assez de mathématiques, de chimie et d’histoire naturelle, non pas pour posséder quelques connaissances, mais pour me mettre en état d’en acquérir. Je mis de l’ordre dans mon esprit dont la capacité s’accrut. Malheureusement ma suffisance s’en accrut pour le moins autant. Je devins insupportable à la maison, trop timide pour le paraître dehors. M’apercevant, grâce à cette funeste perspicacité qui devait me tant nuire dans la vie, que mon père ne raisonnait pas toujours exactement, je m’efforçais de redresser ses raisonnements, ce qui était impertinent et sot.

Les qualités fort réelles qui commençaient à se développer dans mon esprit ne promettaient pas de devenir dans la société d’un emploi bien fructueux. Je ne voyais pas encore quelle carrière pouvait s’ouvrir pour moi. Mon père et ma mère ne m’aidaient guère dans le choix difficile d’un état, ma mère parce qu’elle me jugeait capable de les remplir tous, mon père parce qu’il me jugeait incapable d’en remplir aucun.