Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/316

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rompre sur le front et sur le nez qui étaient sur le même plan et le visage en recevait une pureté divine. Elle terminait le buste de M. Viardot qui était vieux et posait à demi assoupi. Les pas qu’elle faisait en s’éloignant de son œuvre pour en juger et en s’en rapprochant pour y travailler étaient assez courts et dénotaient une myopie légère. Il me sembla que son modelé avait de la vigueur et une certaine brutalité. L’atelier était encombré de plâtres, de vieilles icones ; des étoffes persanes y étaient jetées négligemment. M. Viardot, que j’avais déjà vu plusieurs fois, n’était pas seul avec elle. Trois hommes, l’un jeune, les deux autres vieux, étaient assis sur des divans dans un amoncellement de coussins. Je ne sus d’abord qui ils étaient, car la maîtresse de la maison ne présentait personne. Ils fumaient des cigarettes et parlaient à peine. Il y avait une vingtaine de minutes que j’étais là quand Marie Bagration s’adressant à un grand jeune homme blond :

— Cyrille, dit-elle, jouez-moi quelque chose.

Il se mit au piano et joua avec une prodigieuse virtuosité. J’eus l’humiliation de ne pas savoir ce qu’il jouait. Je lus sur la partition :