Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/317

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Chopin, scherzo. Je regardais les mouvements de cette femme qui étaient pour moi la plus belle musique du monde.

Quand il lui fut permis de quitter la pose et pendant que Marie Bagration étendait un linge mouillé sur le buste, M. Viardot se secoua et sortit peu à peu de son engourdissement. C’était un grand amateur d’art, qui avait publié des livres estimés sur la peinture espagnole. C’était aussi un excellent homme. Il me félicita avec bonté de collaborer à un grand ouvrage sur les peintres. Époux de la plus parfaite chanteuse de son temps, il félicita Cyrille Balachow de son jeu ardent et passionné. C’est par lui que j’appris le nom du jeune virtuose. J’étais dans un monde nouveau, dont je ne savais rien. Je pris congé sans avoir échangé deux mots avec Marie Bagration.

Je ne la connaissais pas et peut-être que je ne désirais pas la connaître. Plus sage que je ne semblerai à ceux qui liront cette histoire, plus sage que je ne pensais moi-même, j’avais percé le secret d’Éros, j’avais appris que l’amour pur s’affranchit de toute sympathie, de toute estime et de toute amitié ; qu’il vit de désir et se nourrit de mensonges. On