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Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/319

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mécontente de ce que je disais, mais elle laissa tomber la conversation. Je crus la soutenir en parlant de l’art grec pour lequel j’avais une admiration éperdue. Elle ne me suivit pas dans ces lointains domaines, et la conversation tomba cette fois pour ne plus se relever. Laissant l’ouvrière travailler en paix, je me tus. Après vingt minutes de silence, me montrant un livre broché qui traînait sur un divan, elle me dit de lui lire l’endroit qu’elle avait corné. C’était un tome d’une très vulgaire édition de Platon, traduit en français par quelque professeur. La corne était mise à ce passage du Banquet, que je lus à haute voix :

« Quoiqu’il se soit fait dans le monde beaucoup de belles actions, il n’en est qu’un petit nombre qui aient racheté des enfers ceux qui y étaient descendus ; mais celle d’Alceste a paru si belle aux hommes et aux dieux que ceux-ci, charmés de son courage, la rappelèrent à la vie. Tant il est vrai qu’un amour noble et généreux se fait estimer des dieux mêmes !

» Ils n’ont pas ainsi traité Orphée, fils d’Œagre. Ils l’ont renvoyé des enfers, sans lui accorder ce qu’il demandait. Au lieu de lui rendre sa femme, qu’il venait chercher, ils ne