Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/318

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’aime vraiment que ce qu’on ne connaît pas. Par quelle voie avais-je atteint cette vérité inaccessible ? J’avais tout ce qu’on peut atteindre de l’amour : un fantôme. Je promenais mon fantôme dans les bois de Meudon et de Saint-Cloud. Et j’étais heureux.

Je fis une visite à madame Airiau qui m’accueillit presque aussi affectueusement qu’à l’ordinaire, mais elle ne parla pas de la princesse Bagration. M. Milsent, que je trouvai chez elle, profita d’un moment où nous n’étions pas observés pour me demander si j’allais à l’atelier de la rue Basse-du-Rempart. Je lui répondis qu’oui ; mais rarement.

— Elle ne sait pas recevoir, reprit-il, c’est une sauvage…

Mes visites à la rue Basse-du-Rempart se suivaient sans diversité. Toujours, en franchissant le seuil de l’atelier, je me semblais transporté dans une autre planète. Une fois, je trouvai Marie Bagration seule, debout devant sa selle et caressant du doigt une petite figure de femme nue. Je voulus lui parler de son art, et, en tâchant d’éviter les louanges banales, je la félicitai d’une fermeté d’accent qui n’est pas ordinaire aux femmes. Elle ne parut pas