Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/32

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économiser en toute une semaine que vingt-cinq centimes, maigre ressource pour une mère et ses deux enfants. Fontanet n’avait encore rien reçu de sa tante. Tourmenté du désir égoïste de donner, et me rappelant que la veuve Bargouiller demandait instamment du vieux linge, je jetai les yeux sur l’armoire où ma mère rangeait mes caleçons et mes chemises et je fus tenté d’en prendre quelques-uns pour satisfaire mon appétit de bienfaisance. Quand l’ordre des temps ramena le mercredi cette tentation devint irrésistible. Je ne me faisais pas d’illusions sur la légitimité de cette action hardie. J’avais alors sur la propriété des idées plus sévères que je n’en ai aujourd’hui, des idées traditionnelles. J’estimais que mon linge de corps n’était pas à moi puisque je ne l’avais pas payé. Je trouve aujourd’hui la question moins simple. Je conçois l’origine et la nature de la propriété tout autrement que la foule de mes contemporains. Dans le temps lointain où ce récit me reporte, j’étais aussi peu proudhonien que possible et je distinguais le bien d’autrui du mien avec une parfaite clarté. Or, selon mon sentiment, conformément à mes principes, d’après ma propre morale enfin, je