Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/342

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difficultés dans un métier qui en présente, à tout moment, de toutes sortes, et qu’il aimait pour cela même et aussi pour y montrer des préférences. Les comédiens, ses camarades, avaient tous aussi leur préférence. Les préférences des uns dérangeaient celles des autres : mais tout finissait par s’arranger. J’eus, de même, dès le premier jour, une préférence. Ce fut pour Lampito, la Lacédémonienne, dont le rôle était tenu par Jeanne Lefuel, de l’Odéon. Ce rôle est peu important. Jeanne Lefuel me demanda d’y ajouter des « béquets » et ne me le demanda pas en vain. Funeste conséquence d’une faiblesse amoureuse : j’interpolai le texte d’Aristophane ! Je dirai pour mon excuse que Lysistrata subit, au Théâtre des Muses, de telles altérations qu’Aristophane lui-même, si, par un prodige, il fût venu l’entendre, ne l’eût pas reconnue. Mais pourquoi chercher une excuse ailleurs que dans les yeux de Jeanne Lefuel ? Ils étaient, ces yeux, d’un gris qui n’était pas gris, d’un gris qu’on n’avait pas encore vu et qu’on ne reverra plus, d’un gris léger, liquide, subtil, aérien, éthéré, où des points lumineux, à peine perceptibles, se tenaient en suspension, venaient à la surface, plongeaient et reparais-