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Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/358

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moi qui suis sans désir, mais pour les âmes auxquelles il a insinué de douces pensées et enseigné ces vertus sans éclat qui rendent heureux. Sans un peu de fiction, il ne sourirait point.

Pourtant, je n’affirme pas que ce déguisement soit sans inconvénient. Quelque parti qu’on prenne, il faut s’attendre à y trouver des conséquences fâcheuses. Mon confrère Lucien Descaves, avec son esprit de finesse et son grand sens du réel, montra un jour, en analysant le Petit Pierre, tout ce que mon père avait perdu à devenir médecin par ma fantaisie. Je conviens qu’il y a perdu une librairie, ce qui n’est pas peu pour un bibliophile comme Lucien Descaves. Mais ce que je sais mieux que personne, c’est que mon père n’avait nul attachement pour cette librairie que je lui ai ôtée. Dénué de tout esprit commercial, il était plus propre à lire ses livres qu’à les vendre. Son intelligence, toute métaphysique, ne considérait point les dehors des choses ; il n’aimait point les livres pour leur figure et avait les bibliophiles en aversion. Je dirai, sans paradoxe, que le docteur Nozière, dans son cabinet, ressemble plus profondément à mon père, que