Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/37

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— C’est cette matelassière qui m’a volé la laine de mes matelas et s’est fait chasser de partout pour son ivrognerie.

Irrité d’avoir été dupe, je protestai aigrement que c’était une très honnête femme, et pieuse.

J’ajoutai que madame Bargouiller avait deux enfants à élever.

— Sans doute, me répondit mon père, et ils sont fort à plaindre. Mais, dis-moi, Pierre, pourquoi n’as-tu pas consulté tes parents avant de faire l’aumône ? Il n’y a rien de plus difficile que de donner. Et j’avoue que cette question de la charité privée me trouble beaucoup. C’est bien de la témérité de ta part, Pierre, d’avoir cru, à ton âge, pouvoir faire seul, sans conseils, ce qui exige beaucoup d’expérience et de réflexion. Mon ami, monsieur Amédée Hennequin, condamne la charité privée et la charité publique, et pourtant c’est une âme tendre. Il est communiste et assure qu’on n’arrivera à rien en fait d’assistance sans une révolution sociale. Je suis tenté de croire qu’une révolution sociale ne suffirait pas et qu’il faudrait une révolution morale…

Ma mère interrompit ce discours qui, visiblement, lui semblait déplacé et hors de propos.