Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/264

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tifice audacieux, inséré dans le Génie du Christianisme. L’auteur l’en détacha depuis. Le René romanesque, c’est René de Chateaubriand : le nom même n’est point changé. René s’était si longtemps miré dans l’étang du vieux manoir ! Il n’est tel que Narcisse pour peindre Narcisse. Et si René a esquissé, à côté de sa propre figure, celle d’une sœur aimable, croyons qu’il l’a dessinée telle qu’il la rêvait vaguement dans l’emphase de son égoïsme, et non telle qu’elle fut dans la réalité.

Le secret de René, de son ennui plein de fantômes, de ses nuits que ses songes et ses veilles troublent également, n’est que le manque d’amour dans une âme assez avide pour en demander au monde entier et trop froide pour en donner à personne. Le génie est toujours jeune. La jeunesse d’un homme tel que Chateaubriand dure presque autant que sa vie. Nous nous arrêterons pourtant à l’époque du dernier Aben-cerage. René, à plus de quarante ans, visita l’Orient pour y chercher des images et de la gloire. 11 revint par Grenade et l’Alhambra. Une femme aimée l’y attendait, et, comme Aben-Hamet, il écrivit deux noms sur le mur de la salle des Deux-Sœurs. C’est lui-même qui a soulevé, depuis, un pan de ce mystère. La belle inspiratrice du grand homme mourut folle et désolée. Quant à lui, il traversa son siècle avec toutes sortes de gloires, et il assista comme un demi-dieu à la première moitié du nôtre ; mais on dit qu’il ne put jamais chasser de sa poitrine cet ennui qui fait sa proie des cœurs vides.