Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/172

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tragédie que je lisais, c’étaient des joies et des larmes nouvelles et des frissons nouveaux.

Alceste et Antigone me donnèrent les plus nobles rêves qu’un enfant ait jamais eus. La tête enfoncée dans mon dictionnaire, sur mon pupitre barbouillé d’encre, je voyais des figures divines, des bras d’ivoire tombant sur des tuniques blanches, et j’entendais des voix plus belles que la plus belle musique, qui se lamentaient harmonieusement.

Cela encore me causa de nouvelles punitions. Elles étaient justes : je m’occupais de choses étrangères à la classe. Hélas ! l’habitude m’en resta. Dans quelque classe de la vie qu’on me mette pour le reste de mes jours, je crains bien, tout vieux, d’encourir encore le reproche que me faisait mon professeur de seconde : « Monsieur Pierre Nozière, vous vous occupez de choses étrangères à la classe. » Mais c’est surtout par les soirs d’hiver, au sortir du collège, que je m’enivrais dans les rues de cette lumière et de ce chant. Je lisais sous les réverbères et devant les vitrines éclairées des boutiques les vers que je me récitais ensuite à demi-voix en marchant. L’ac-