Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/173

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tivité des soirs d’hiver régnait dans les rues étroites du faubourg, que l’ombre enveloppait déjà.

Il m’arriva bien souvent de heurter quelque patronnet qui, sa manne sur la tête, menait son rêve comme je menais le mien, ou de sentir subitement à la joue l’haleine chaude d’un pauvre cheval qui tirait sa charrette. La réalité ne me gâtait point mon rêve, parce que j’aimais bien mes vieilles rues de faubourg dont les pierres m’avaient vu grandir. Un soir, je lus des vers d’Antigone à la lanterne d’un marchand de marrons, et je ne puis pas, après un quart de siècle, me rappeler ces vers :

Ô tombeau ! ô lit nuptial !…

sans revoir l’Auvergnat soufflant dans un sac de papier et sans sentir à mon côté la chaleur de la poêle où rôtissaient les marrons. Et le souvenir de ce brave homme se mêle harmonieusement dans ma mémoire aux lamentations de la vierge thébaine.

Ainsi j’appris beaucoup de vers. Ainsi j’acquis des connaissances utiles et précieuses. Ainsi, je fis mes humanités.