Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/120

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Dans le coupé, madame Marmet parla avec une tendresse paisible du mari qu’elle avait perdu. Il l’avait épousée par amour ; il lui faisait des vers admirables, qu’elle avait gardés et qu’elle ne montrait à personne. Il était très vif et très gai. On ne l’eût pas cru à le voir plus tard fatigué par le travail, affaibli par la maladie. Il avait étudié jusqu’au dernier moment. Souffrant d’une hypertrophie du cœur, il ne pouvait se coucher, et passait la nuit dans son fauteuil, avec ses livres sur une tablette. Deux heures avant sa mort, il essaya de lire encore. Il était affectueux et bon. Dans sa souffrance il garda toute sa douceur.

Madame Martin, faute de trouver mieux, lui dit :

— Vous avez eu de longues années heureuses, vous en gardez le souvenir ; c’est encore une part de bonheur en ce monde.

Mais la bonne madame Marmet soupira, un nuage passa sur son front tranquille.

— Oui, dit-elle, Louis fut le meilleur des hommes et le meilleur des maris. Pourtant, il m’a rendue bien malheureuse. Il n’avait qu’un seul défaut, mais j’en ai cruellement souffert. Il était jaloux. Lui si bon, si tendre, si généreux, cette horrible passion le rendait injuste, tyrannique, violent. Je vous assure bien que ma