Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/152

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avait la tête dure, et que les vérités célestes ne pouvaient percer son crâne épais. Il était âpre et avare, et tout à fait enfoncé dans les intérêts matériels. Il ne pensait qu’à acheter des maisons.

Le professeur Arrighi prit la défense de Pietro Vanucci de Pérouse.

— C’était, dit-il, un homme probe. Et le prieur des Gesuati de Florence eut bien tort de se défier de lui. Ce religieux pratiquait l’art de fabriquer du bleu d’outremer en broyant des pierres de lapis-lazuli calcinées. L’outremer valait alors son poids d’or ; et le prieur, qui avait sans doute des secrets, estimait le sien plus précieux que le rubis et le saphir. Il demanda à Pietro Vanucci de décorer les deux cloîtres de son couvent, et il attendait des merveilles, moins de l’habileté du maître que de la beauté de cet outremer répandu sur les ciels. Tout le temps que le peintre travailla dans les cloîtres à l’histoire de Jésus-Christ, le prieur se tenait à son côté et lui présentait la poudre précieuse dans un petit sac qu’il ne lâchait jamais. Pietro y puisait, sous le regard du saint homme, et trempait son pinceau chargé de couleur dans un godet plein d’eau, avant d’en frotter l’enduit de la muraille. Il employait de la sorte une grande quantité de poudre. Et le bon père, voyant son sachet maigrir et s’épuiser, soupirait :