Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/177

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il se laissait voir vide, oisif, ennuyé. Le prince s’empressa à leur rencontre et les conduisit, à travers les salons démeublés, jusqu’à la galerie. Il s’excusa de montrer des toiles qui n’étaient pas sans doute d’un aspect flatteur. La galerie avait été formée par le cardinal Giulio Albertinelli, à l’époque où dominait le goût, maintenant tombé, du Guide et des Carrache. Son ancêtre s’était plu à rassembler les ouvrages de l’école de Bologne. Mais il ferait voir à madame Martin quelques peintures qui n’avaient pas déplu à miss Bell ; entre autres, un Mantegna.

La comtesse Martin reconnut du premier coup d’œil une galerie banale et douteuse ; elle s’ennuya tout de suite parmi la multitude des petits Parrocel, laissant voir dans leurs ténèbres, à la lueur d’un coup de feu, un bout d’armure et une croupe de cheval blanc.

Un valet de chambre vint présenter une carte.

Le prince lut tout haut le nom de Jacques Dechartre. En ce moment, il tournait le dos aux deux visiteuses. Son visage prit cette expression de mécontentement cruel qu’on ne voit qu’à des marbres d’empereurs romains. Dechartre était sur le palier de l’escalier d’honneur.

Le prince alla au-devant de lui avec un sourire languissant. Déjà, ce n’était plus Néron, c’était Antinoüs.