Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/92

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ment de Venise, de l’air de Venise, qui sème des perles.

— Oui, à Venise, le ciel est coloriste. À Florence, il est spirituel. Un vieil auteur a dit : « Le ciel de Florence, léger et subtil, nourrit les belles idées des hommes. » J’ai vécu des jours délicieux en Toscane. Je voudrais bien en vivre de nouveaux.

— Venez m’y retrouver.

Il soupira :

— Les journaux, les revues, la tâche quotidienne !…

M. Martin-Bellème dit qu’il fallait s’incliner devant ces raisons, et qu’on était trop heureux de lire les articles et les livres de M. Paul Vence pour vouloir le distraire de son travail.

— Oh ! mes livres !… On ne dit rien dans un livre de ce qu’on voudrait dire. S’exprimer, c’est impossible !… Eh ! oui, je sais parler avec ma plume, tout comme un autre. Mais parler, écrire, quelle pitié ! C’est une misère, quand on y songe, que ces petits signes dont sont formés les syllabes, les mots, les phrases. Que devient l’idée, la belle idée, sous ces méchants hiéroglyphes à la fois communs et bizarres ? Qu’est-ce qu’il en fait, le lecteur, de ma page d’écriture ? Une suite de faux sens, de contresens et de non-sens. Lire, entendre, c’est traduire. Il y a de