Page:Anatole France - Le Mannequin d’osier.djvu/163

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domestique et morale ; elle était une créature humaine et vivante. Elle souffrit de ne pouvoir se répandre en propos vulgaires, en gestes menaçants, en cris aigus. Elle souffrit de ne plus se sentir la maîtresse du logis, l’âme de la cuisine, la mère de famille, la matrone. Elle souffrit d’être comme si elle n’était pas et de ne plus compter pour une personne, pas même pour une chose. Elle en venait, pendant les repas, à désirer être une chaise ou une assiette, pour être du moins reconnue. Si M. Bergeret avait tout à coup levé sur elle le couteau à découper, elle en aurait crié de joie, bien qu’elle eût naturellement peur des coups. Mais ne pas compter, ne pas peser, ne pas paraître, était en horreur à sa nature opaque et lourde. Le supplice monotone et continu que lui infligeait M. Bergeret était si cruel qu’elle avalait son mouchoir pour étouffer ses sanglots. Et M. Bergeret, retiré dans son cabinet, l’entendait qui se mouchait bruyamment dans