Page:Anatole France - Le Mannequin d’osier.djvu/243

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— Je suis frappé comme vous de cette transformation, dit M. Bergeret. Et j’en cherche les causes sans pouvoir les trouver. Il est souvent parlé, dans les contes chinois, d’un génie fort laid, d’allure pesante, mais dont l’esprit est subtil et qui aime à se divertir. Il s’introduit la nuit dans les maisons habitées, il ouvre comme une boîte le crâne d’un dormeur, en retire le cerveau, met un autre cerveau à la place, et referme doucement le crâne. Son grand plaisir est d’aller ainsi de maison en maison, changeant les cervelles. Et quand, à l’aube, ce génie jovial a regagné son temple, le mandarin s’éveille avec des idées de courtisane et la jeune fille avec les rêves d’un vieux buveur d’opium. Il faut qu’un génie de ce caractère ait troqué de la sorte les cerveaux français contre ceux de quelque peuple inglorieux et patient, traînant sans désirs une morne existence, indifférent au juste et à l’injuste. Car enfin, nous ne nous ressemblons plus du tout.