Page:Anatole France - Le Mannequin d’osier.djvu/286

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une grande clarté morale, elle sentait que sa faute était simple, sans malice profonde, sans la passion qui seule donne aux fautes la grandeur du crime et perd la coupable. Elle sentait qu’elle n’était point une grande criminelle, mais plutôt qu’elle n’avait pas eu de chance. Les conséquences inattendues de cette insignifiante affaire, elle les voyait se dérouler avec une morne lenteur, qui l’épouvantait. Elle souffrait cruellement d’être seule et déchue dans sa maison, d’avoir perdu sa souveraineté domestique, d’être dépouillée, pour ainsi dire, de son âme ménagère et cuisinière. La souffrance ne lui était pas bonne et ne la purifiait pas. La souffrance inspirait à son pauvre génie tantôt la révolte et tantôt l’abaissement. Chaque jour, vers trois heures de l’après-midi, elle sortait, roide, pompeusement parée, l’œil clair, les joues irritées, terrible, et gagnait à grandes enjambées les maisons amies. Elle allait en visite chez madame Torquet,