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LES DIEUX ONT SOIF

ourdis pour délivrer l’Autrichienne. Au moment que je parle, le bruit court que le fils Capet, évadé du Temple, est porté en triomphe à Saint-Cloud : on veut relever en sa faveur le trône du tyran. L’enchérissement des vivres, la dépréciation des assignats sont l’effet des manœuvres accomplies dans nos foyers, sous nos yeux, par les agents de l’étranger. Au nom du salut public, je somme le citoyen juré d’être impitoyable pour les conspirateurs et les traîtres.

Tandis qu’il descendait de la tribune, des voix s’élevaient dans l’assemblée : « À bas le tribunal révolutionnaire ! À bas les modérés ! »

Gras et le teint fleuri, le citoyen Dupont aîné, menuisier sur la place de Thionville, monta à la tribune, désireux, disait-il, d’adresser une question au citoyen juré. Et il demanda à Gamelin quelle serait son attitude dans l’affaire des Brissotins et de la veuve Capet.

Évariste était timide et ne savait point parler en public. Mais l’indignation l’inspira. Il se leva, pâle, et dit d’une voix sourde :

— Je suis magistrat. Je ne relève que de ma conscience. Toute promesse que je vous ferais serait contraire à mon devoir. Je dois parler au Tribunal et me taire partout ailleurs. Je ne vous connais plus. Je suis juge : je ne connais ni amis ni ennemis.