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LES DIEUX ONT SOIF

Comité de bienfaisance. Quelques pas plus avant, on atteignait la porte de la ci-devant sacristie, que surmontait cette inscription : Comité militaire. Gamelin la poussa et trouva le secrétaire du Comité qui écrivait sur une grande table encombrée de livres, de papiers, de lingots d’acier, de cartouches et d’échantillons de terres salpêtrées.

— Salut, citoyen Trubert. Comment vas-tu ?

— Moi ?… je me porte à merveille.

Le secrétaire du Comité militaire, Fortuné Trubert, faisait invariablement cette réponse à ceux qui s’inquiétaient de sa santé, moins pour les instruire de son état que pour couper court à toute conversation sur ce sujet. Il avait, à vingt-huit ans, la peau aride, les cheveux rares, les pommettes rouges, le dos voûté. Opticien sur le quai des Orfèvres, il était propriétaire d’une très ancienne maison qu’il avait cédée en 91 à un vieux commis pour se dévouer à ses fonctions municipales. Une mère charmante, morte à vingt ans et dont quelques vieillards, dans le quartier, gardaient le touchant souvenir, lui avait donné ses beaux yeux doux et passionnés, sa pâleur, sa timidité. De son père, ingénieur opticien, fournisseur du roi, emporté par le même mal avant sa trentième année, il tenait un esprit juste et appliqué.