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LES DIEUX ONT SOIF

— Mon enfant, ton frère est un honnête homme et un bon fils. Mais ne lui demande pas, oh ! ne lui demande pas de s’intéresser à monsieur de Chassagne… Écoute-moi, Julie. Il ne me confie point ses pensées et, sans doute, je ne serais pas capable de les comprendre… mais il est juge ; il a des principes ; il agit d’après sa conscience. Ne lui demande rien, Julie.

— Je vois que tu le connais maintenant. Tu sais qu’il est froid, insensible, que c’est un méchant, qu’il n’a que de l’ambition, de la vanité. Et tu l’as toujours préféré à moi. Quand nous vivions tous les trois ensemble, tu me le proposais pour modèle. Sa démarche compassée et sa parole grave t’imposaient : tu lui découvrais toutes les vertus. Et moi, tu me désapprouvais toujours, tu m’attribuais tous les vices, parce que j’étais franche, et que je grimpais aux arbres. Tu n’as jamais pu me souffrir. Tu n’aimais que lui. Tiens ! je le hais, ton Évariste : c’est un hypocrite.

— Tais-toi, Julie : j’ai été une bonne mère pour toi comme pour lui. Je t’ai fait apprendre un état. Il n’a pas dépendu de moi que tu ne restes une honnête fille et que tu ne te maries selon ta condition. Je t’ai aimée tendrement et je t’aime encore. Je te pardonne et je t’aime. Mais ne dis pas de mal d’Évariste. C’est un