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LES DIEUX ONT SOIF

de cette place de la Révolution où ils avaient péri. Et il sourit fièrement, songeant que, sans les sévérités dont il avait eu sa part, les chevaux autrichiens mordraient aujourd’hui l’écorce de ces arbres.

Il s’écriait en lui-même :

« Terreur salutaire, ô sainte terreur ! L’année passée, à pareille époque, nous avions pour défenseurs d’héroïques vaincus en guenilles ; le sol de la patrie était envahi, les deux tiers des départements en révolte. Maintenant nos armées bien équipées, bien instruites, commandées par d’habiles généraux, prennent l’offensive, prêtes à porter la liberté par le monde. La paix règne sur tout le territoire de la République… Terreur salutaire ! ô sainte terreur ! aimable guillotine ! L’année passée, à pareille époque, la République était déchirée par les factions ; l’hydre du fédéralisme menaçait de la dévorer. Maintenant l’unité jacobine étend sur l’empire sa force et sa sagesse… »

Cependant il était sombre. Un pli profond lui barrait le front ; sa bouche était amère. Il songeait : « Nous disions : Vaincre ou mourir. Nous nous trompions, c’est vaincre et mourir qu’il fallait dire. »

Il regardait autour de lui. Les enfants faisaient des tas de sable. Les citoyennes sur leur chaise