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LES DIEUX ONT SOIF

de bois, au pied des arbres, brodaient ou cousaient. Les passants en habit et culotte d’une élégance étrange, songeant à leurs affaires ou à leurs plaisirs, regagnaient leur demeure. Et Gamelin se sentait seul parmi eux : il n’était ni leur compatriote ni leur contemporain. Que s’était-il donc passé ? Comment à l’enthousiasme des belles années avaient succédé l’indifférence, la fatigue et, peut-être, le dégoût ? Visiblement, ces gens-là ne voulaient plus entendre parler du Tribunal révolutionnaire et se détournaient de la guillotine. Devenue trop importune sur la place de la Révolution, on l’avait renvoyée au bout du faubourg Antoine. Là même, au passage des charrettes, on murmurait. Quelques voix, dit-on, avaient crié : « Assez ! »

Assez, quand il y avait encore des traîtres, des conspirateurs ! Assez, quand il fallait renouveler les comités, épurer la Convention ! Assez, quand des scélérats déshonoraient la représentation nationale ! Assez, quand on méditait jusque dans le tribunal révolutionnaire la perte du Juste ! Car, chose horrible à penser et trop véritable ! Fouquier lui-même ourdissait des trames, et c’était pour perdre Maximilien qu’il lui avait immolé pompeusement cinquante-sept victimes traînées à la mort dans la chemise rouge des parricides. À quelle pitié criminelle cédait la