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LES DIEUX ONT SOIF

— Petit enfant, quand tu seras un homme, tu me devras ton bonheur, ton innocence ; et, si jamais tu entends prononcer mon nom, tu l’exécreras.

Et il posa à terre l’enfant, qui s’alla jeter épouvanté dans les jupes de sa mère, accourue pour le délivrer.

Cette jeune mère, qui était jolie et d’une grâce aristocratique, dans sa robe de linon blanc, emmena son petit garçon avec un air de hauteur.

Gamelin tourna vers Élodie un regard farouche :

— J’ai embrassé cet enfant ; peut-être ferai-je guillotiner sa mère.

Et il s’éloigna, à grands pas, sous les quinconces.

Élodie resta un moment immobile, le regard fixe et baissé. Puis, tout à coup, elle s’élança sur les pas de son amant, et, furieuse, échevelée, telle qu’une ménade, elle le saisit comme pour le déchirer et lui cria d’une voix étranglée de sang et de larmes :

— Eh bien ! moi aussi, mon bien-aimé, envoie-moi à la guillotine ; moi aussi, fais-moi trancher la tête !

Et, à l’idée du couteau sur sa nuque, toute sa chair se fondait d’horreur et de volupté.