Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/114

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social, comme les sensations sont le reflet qu’elles laissent dans les autres organes. En ce sens, le langage humain est unique et nécessaire {die Sprache ist eine einzige und durchaus notwendige). Il ne se modifie que par les circonstances. Seulement il y a des peuples en qui meurt, avec l’esprit de liberté, la plasticité du langage. Et il y en a chez qui la parole reste vivante[1].

Tout a été dit sur cette théorie du langage qui veut que la langue allemande seule parmi les idiomes d’à présent soit restée proche de l’Ursprache, et capable de croître du dedans par la poussée de la vie intérieure. Selon Fichte, le peuple allemand seul a donc le pouvoir de créer des images verbales qui traduisent une mouvante pensée, et par là une vie réelle moulée sur ce modèle. Nietzsche retrouvera et recueillera cette idée dans R.Wagner. L’idée wagnérienne de créer une « civilisation de l’esprit », allemande par la forme, n’est donc chez Wagner et chez les âmes religieuses de son temps, telles que Paul de Lagarde, que la passion de 1806 ravivée par le nouvel incendie.

Mais par qui se réalisera cette grande création ? Fichte connaît déjà les quatre cimes de la supériorité humaine qui émergeront dans Schopenhauer. Une idée autonome, capable de pétrir la matière et construite elle-même par une vivante pensée, voilà ce qui meut du dedans et traîne à la victoire tous les grands créateurs[2]. Cette idée coule des doigts de l’artiste dans le marbre qu’il taille et elle ruisselle sur la toile avec le chatoiement des lumières. Elle pétrit puissamment les ensembles sociaux par les bras du héros. Elle rayonne en radieuses béatitudes dans les constructions immatérielles où le penseur


  1. Reden, IV (VII, 314).
  2. Grundzüge des gegenwärtigen Zeitalters. IVte Vorlesung (VII, 54).