Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/118

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Nietzsche a tâché d’être un interprète rigoureux et un adversaire loyal. Mais il n’a jamais été serf de la pensée schopenhauérienne. Il a reçu de Schopenhauer une commotion puissante. Par Schopenhauer l’esprit philosophique a passé en lui. C’est dire que Schopenhauer lui a appris d’abord le Selbstdenken la pensée spontanée, autocratique, et qui n’admet pas d’autorité au-dessus d’elle[1]. Jeune, il a gardé de lui les linéaments généraux du système, en lui contestant les idées de détail[2]. Avec la maturité, il a reconnu que le fort de Schopenhauer consistait dans son expérience de moraliste. Il a admiré la richesse de cette observation touffue et ingénieuse, mais il n’a plus admis l’attitude générale de sa philosophie.

I. L’irrationalisme schopenhauérien. — Toute la doctrine de Schopenhauer tient dans le rapport qu’elle suppose entre la connaissance rationnelle et la connaissance irrationnelle[3]. Schopenhauer essaie de reprendre avec la dernière rigueur la pensée relativiste de Kant ; mais c’est pour s’en mieux affranchir. Kant dépassait la connaissance des purs phénomènes par un acte de foi morale. Schopenhauer a découvert cette issue nouvelle : La connaissance rationnelle, selon lui, suppose l’irrationnel comme une de ses conditions, et il faut tâcher de nous le figurer. C’est une méthode que Nietzsche lui accorde. Les deux philosophes diffèrent sur les moyens d’appliquer cette méthode. Ils ne comprennent pas de même les rapports qui subsistent entre la connaissance du rationnel et celle de l’irrationnel.


  1. Schopenhauer, Parerga, t. II, chap. Selbstdenken, § 265.
  2. Menschliches, § 374 (XI, 120).
  3. Sur ce point, voir G. Simmel, Schopenhauer und Nietzsche, 1907, p. 19 sq. — Th. Ruyssen, Schopenhauer. 1911, p. 186. — Heinrich Hasse, Schopenhauers Erkenntnisslehre, 1913.