Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/14

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libations reconnaissantes à tous les devanciers où, il a puisé sa sagesse[1] :

Ce qui est original en nous, ajoutait Cœthe, se conserve et reprend vigueur surtout si nous ne perdons pas de vue nos grands ancêtres. Ce n’est pas seulement ce qui est né avec nous, mais ce que nous savons acquérir, qui nous appartient et fait partie intégrante de notre substance[2].

C’est donc déjà décrire Nietzsche que de décrire son ascendance spirituelle. Quand il n’aurait fait que renouveler l’expression de la pensée acquise dans la plus puissante mélodie qu’on ait entendue en prose allemande, il y aurait déjà nécessité à faire le relevé de tous les thèmes empruntés et variés par lui. Mais il y a plus. Ces voix connues que nous percevons en entrant sous l’ombrage bruissant des écrits de Nietzsche, ce sont les voix de ses guides. Il les a suivies, comme Sigfrid suit l’oiseau-prophète de la forêt. Il a été conduit par elles, par leurs conseils de prudence, d’audace et d’espérance jusqu’à l’endroit où, à son tour, il devait rencontrer l’ennemi, dont le fer de lance porte gravées les runes de la coutume, de la loi » de toutes les traditions vieilles. Son épée serait-elle forgée de morceaux anciens, seul, il avait le secret d’en faire une arme nouvelle. Et s’il a été mené par ces voix conductrices jusqu’au carrefour fatal, il lui a fallu abattre seul l’adversaire prédestiné. C’est là son œuvre propre, sa prouesse sans modèle :

Ohne Geheiss, — aus eigner Not, — mit der eignen Wehr, — die Tat, die nie ein Rat ihm riet[3].

  1. Goethe, Gespräche mit Eckermann, 12 mai 1825 ; 16 décembre 1828. Geschichte der Farbenlehre. Ed. du Centenaire, 1905, t. XL, p. 143 ; Maximen und Reflexionen. Ibid., t. XXXIX, p. 110.
  2. Maximen. Ibid., t. XXXVIII. p. 278.
  3. Richard Wagner, Die Walküre, acte I, sc. 2 (Ges. Schriften, VI, p. 41).