Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/173

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tout d’abord Nietzsche voudra, comme Montaigne, une éducation « qui nous change en mieux ». Il ne faut pas « l’attacher à l’âme » par la surface ; « il l’y faut incorporer »[1]. Cet art d’apprendre que Nietzsche admirait en quelques génies lucides, comme Raphaël, et qu’il a su pratiquer à merveille : « transformer les pièces empruntées d’autrui et les confondre pour en faire un ouvrage tout sien », c’est dans Montaigne qu’il le trouve formulé et justifié[2].

Ce qu’il y a lieu d’apprendre, pour un homme libre, c’est cette sincérité sur le monde et sur soi-même sans quoi il n’est que servitude. À vrai dire, nous n’avons à nous informer que nous-mêmes ; et toutes nos autres études ne sont que des « miroirs », où il nous faut regarder pour nous connaître. « Tant d’humeurs de sectes, de jugements, de lois et coustumes, nous apprennent à juger sainement des nôtres[3]. » Le postulat socratique de cette morale, c’est que bien se connaître est la première condition pour bien vivre ; et que de tous les arts libéraux, cette connaissance seule nous fait vraiment libres[4]. Elle nous enseignera à « restreindre les appartenances de notre vie à leurs justes et naturelles limites » ; et, nous avertissant de ce que nous sommes capables de faire, nous montrera aussi ce qu’il faudra entreprendre pour compléter, dans le sens de cette douce et prudente et juste nature qui nous guide, notre progressif affranchissement. Mais puisqu’un terme est fixé, dans l’étendue et dans le temps, à cet effort, c’est encore sur cette limite de notre durée qu’il nous faut une clarté. « L’homme marche entier, vers son croist et vers son descroist[5]. » Il ne faut pas tant dire que le terme de sa carrière soit la mort, mais plutôt que

  1. Essais, I, 162.
  2. Ibid., I, 178.
  3. Ibid., l, 187.
  4. Ibid., I, 189.
  5. Ibid., III, 43.