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CHAPITRE II


PASCAL


Nietzsche n’a pas lutté contre l’influence de Montaigne. Il s’est laissé aller à la séduction de son naturel et de son intelligence. C’est avec violence au contraire qu’il s’est débattu contre Pascal. De très bonne heure, des tournures de style, des images pascaliennes qui flottent dans sa mémoire et affleurent dans sa prose, le montrent fasciné par le redoutable écrivain. À la fin de sa vie, il écrira : « Pascal, pour qui j’ai presque de la tendresse, parce qu’il ma infiniment instruit[1]. » Bien qu’il contredise quelques-uns des instincts les plus profonds de Nietzsche, Pascal a été pour lui une étude psychologique admirable. Il est « le seul chrétien conséquent » qu’il ait connu ; et une âme française d’élite en ce xviie siècle qui marque l’épanouissement le plus vigoureux d’un peuple où les âmes « savent l’art de s’épanouir ». Ce fut un charme pour lui de déchiffrer cette âme somptueuse et amère : Seine prachtvolle bitterböse Seele[2]. Nous enseigne-t-il la dévastation morale que le christianisme apporte, et son destin propre est-il le symbole de la décrépitude prochaine de tout un monde ?

  1. À Georg Brandes, 20 novembre 1888 {Corr., III, 322).
  2. Nachlass, 1882-1888, § 800 (W., XIII, 327).