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CHAPITRE III


LA ROCHEFOUCAULD



Aucun parallèle n’a peut-être été fait de meilleure heure que celui qui rapproche Nietzsche de La Rochefoucauld. Jacoh Burckhardt déjà, pour complimenter son collègue après la publication des Opinions diverses par lesquelles s’ouvre la seconde moitié des Choses humaines, trop humaines, imaginait un dialogue des morts entre moralistes anciens, où La Rochefoucauld, devant La Bruyère et Vauvenargues ravis, se déclarerait jaloux de plus d’un aphorisme de Nietzsche[1].

L’action de La Rochefoucauld sur Nietzsche n’a pas été de longue haleine, comme celle de Pascal. Elle a été un choc très court, mais décisif ; et elle accuse davantage la différence intellectuelle qui existe entre Nietzsche et son ami Erwin Rohde. Ce dernier, avec la rudesse incompréhensive de la jeunesse, a décrit l’ « impression répugnante » qu’il avait reçue de La Rochefoucauld »[2]. « C’est un pessimiste, ajoutait-il, avec son pathétique schopenhauérien d’alors, mais dont on ne reçoit aucune suggestion morale. » Cette impartialité d’observation, Nietzsche en fit au contraire à La Rochefoucauld un mérite de plus, et, à l’entendre, vers 1876, c’était le fait d’une culture haute

  1. Burckhardt à Nietzsche, 5 avril 1879. {Corr., III, 175.)
  2. Rohde à Nietzsche, 24 nov. 1868. {Corr., II, 99