Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/23

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lyse plus minutieuse. Cette trame de « filigrane d’or », qui, selon le plus grand des Nietzsche-forscher, Carl-Albrecht Bernoulli, rattache Nietzsche à la pensée française, je l’ai suivie avec plaisir parce qu’elle n’avait jamais été mise à nu. Et si, dans ce volume, comme dans ceux qui suivront, j’insiste sur l’ « helvétisation » de Nietzsche, c’est que, avouée par lui, elle m’a paru plus profonde qu’on ne l’a jamais décrite.

J’ai cru faire œuvre d’historien sans être atteint de la « maladie historique ». Nietzsche n’avait-il pas appelé d’un vœu puissant l’époque où son autorité grandissante le ferait commenter comme un classique ? Or ces temps sont venus.

Les événements ont retardé de six années la publication de ce livre. Il commençait de s’imprimer au moment où se livrait sur la Marne en 1914, la bataille qui, plus sûrement que Valmy, a ouvert une ère nouvelle. Une grande prévision de Nietzsche s’est réalisée dans ce mois de septembre tragique et libérateur.

Nietzsche pleurait sur la folie d’une Europe « qui versait à flots le sang européen, comme les Grecs versaient à flots le sang grec, sacrifiant presque toujours les hommes de la culture la plus haute »[1]. Il savait la responsabilité allemande dans le danger permanent qui, par la militarisation généralisée de l’Europe, pesait sur l’humanité ; et la provocante devise de « l’Allemagne au-dessus de tout », il l’avait déclarée « le moi de ralliement le plus dénué de sens qu’il y ait jamais eu au monde »[2].

  1. Nietzsche, Menschliches, Allzumenschliches, I, § 442 (W., II, p. 328).
  2. Fragments posthumes de 1882-1888, § 867 (W., XIII, p. 350).