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cercle de solitude, sereine ou triste, pour réserver les droits de la conscience intellectuelle, et à ceux qui nous en font reproche, de faire la fière réponse : « Dans le monde, tout tend à me faire descendre. Dans la solitude, tout tend à me faire monter[1]. »

Nietzsche, quelles paroles n’a-t-il pas trouvées pour décrire « cet isolement par lequel il se défendait d’un mépris des hommes qui l’envahissait »[2] ! Il a défini à son tour les raisons qui obligent « tout homme d’élite à se réfugier instinctivement dans son château-fort, dans ce secret réduit où, affranchi de la foule et du trop grand nombre, il a le droit d’oublier cette règle appelée « homme » et à laquelle il fait, pour sa part, exception »[3]. Monter sur les hauteurs, à 6.000 pieds au-dessus de l’atmosphère commune, et là, dans le grand silence intérieur, retrouver la source des grandes inspirations, redécouvrir, pour soi et pour les hommes, des raisons de vivre que nous cachait le dégoût de la vie inspiré par eux, combien de fois ce précepte ne revient-il pas chez Nietzsche, en termes presque littéralement semblables à ceux de Chamford :

Le monde ne m’a rien offert de tel qu’en descendant en moi-même je n’aie trouvé encore mieux chez moi[4].

Or, ce que le philosophe trouve en lui-même, c’est, dit Chamfort, « la pensée qui console de tout et remédie à tout »[5]. Elle suppose un premier don de la nature, « cette force de raison qui vous élève au-dessus de vos propres passions et de vos faiblesses et qui vous fait gouverner vos qualités mêmes, vos talents et vos vertus » [6].

  1. Caractères et portraits, p. 74.
  2. Projet d’une préface à Frœhliche Wissenschaft, § 280. {W., XIV, 404.)
  3. Jenseits, § 26. (W., VII, 44.)
  4. Caractères et portraits, p. 71.
  5. Maximes et Pensées, p. 280.
  6. Ibid., p. 286.