Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/248

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Moi, j’honore du nom de vertu l’habitude de faire des actions pénibles et utiles aux autres[1].

Cette habitude peut faire partie du bonheur. Car être heureux ne veut pas dire lésiner sur sa peine, mais se dépenser passionnément. Et si enfin le malheur vient, le moyen le plus sûr de lui casser sa pointe sera de lui opposer le plus vif courage.

L’âme jouit de sa force et la regarde, au lieu de regarder le malheur et d’en sentir amèrement tous les détails. Il y a du plaisir à avoir la seule qualité qui ne puisse être imitée par l’hypocrisie en ce siècle de comédien[2].

La fierté stoïque de Pascal et de Schiller devant l’univers qui nous écrase, Stendhal sait la transformer en une dernière joie de l’âme, et dans le défi jeté à l’adversité trouver encore un réconfort intelligent. C’est pourquoi ce n’est pas un vulgaire réalisme chez lui que de dire : « J’aime la force », car de cette force qu’il aime, « une fourmi peut en montrer autant qu’un éléphant »[3].

Cette énergie est invisible. Mais, sans elle, il n’y aurait pas de civilisation. Les siècles s’écoulent sans qu’on la voie ; c’est elle pourtant qui galvanise tout, comme une électricité cachée, un courant dynamique obscur, d’où partent des décharges puissantes, puis qui rayonne soudain dans ces lumineux météores, les œuvres d’art. La civilisation d’un peuple se mesure à cette tension intérieure. Écrire une histoire de la peinture italienne, c’est écrire une Histoire de l’énergie en Italie[4]. Un jour viendra où l’on admirera et historiera la grandeur du caractère, où qu’elle se trouve et si méconnue qu’elle ait été. Une telle doctrine complétait à merveille ce qu’avaient

  1. De l’Amour, pp. 198, 301.
  2. Corr. inéd., II, p. 260,
  3. Rome, Naples et Florence, p. 58.
  4. Corr. inéd., I, p. 47.