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CHAPITRE PREMIER


GŒTHE



Une des raisons les plus décisives pour lesquelles Nietzsche a tardé à être compris, c’est, sans doute, l’affaiblissement de la tradition classique en Allemagne. On peut dire que la génération qui a vécu de 1860 à 1890 a grandement ignoré Gœthe, bien qu’il fût enseigné dans toutes les écoles. Cela semble singulier et n’est que naturel. Un enfant peut être saisi de la force sentimentale ou de la mélodie de Gœthe, et en ce sens le comprendre. Mais les plus exercés trouvent encore à le méditer longuement, sans achever jamais leur étude. Cette pensée, lucide et difficile, on en confie l’enseignement à des pédagogues que la routine gagne au bout de quelques années. Elle reste ainsi incomprise de la plupart. Les générations teutomanes si préoccupées d’action, qui arrivaient à la maturité vers 1870, manquèrent du sens même qui ouvre l’intelligence de Gœthe. On ne peut expliquer autrement l’erreur par laquelle les Allemands ont pu méconnaître si longtemps que Nietzsche, imbu de la tradition classique la plus pure, en est aussi le prolongement le plus authentique.

Nietzsche a remarqué, comme une particularité de l’homme supérieur, le don et le goût d’apprendre. N’avoir pas d’orgueil, ne pas hérisser sa propre originalité au contact d’une autre, mais l’ouvrir et l’élargir en y accueillant toutes les pensées dont elle peut s’alimenter, ce fut